Lenoir et Demoya

Carole marchait toujours en direction de sa chambre. Elle n'avait plus le goût de faire la fête. Après cette altercation, elle pensait qu'elle allait devoir refaire ses bagages. Elle se voyait déjà dans une cellule de prison. Alors qu'elle posait le pied sur la première marche de l'escalier, elle entendit un bruit de course derrière elle. La jeune femme se retourna aperçut la Directrice. Cette dernière voulait lui parler. L'expression de son visage lui indiquait qu'il ne valait mieux pas refuser et, de toute façon, elle n'avait pas vraiment le choix.

Elle se tint devant elle et répondit:

"- Je vous écoute."

Elle s'attendait à se faire jeter dehors. On lui avait donner une chance, elle n'avait pas su la saisir.

La Directrice dévisagea Carole et lut du désespoir sur son visage. La jeune femme semblait vraiment... mal. Clémentine avait préparé un discours, des mots durs et presque blessants, mais elle oublia tout presque aussitôt.

"Quel est votre problème Carole ? Vous n'aimez pas cet endroit au point d'être désagréable avec moi et de ne pas accepter que je vous fasse un reproche sur la façon dont vous faites le travail que je vous ai confié ?"

La Directrice était profondément ennuyée de ne pas comprendre Carole aussi bien que ses élèves.

Lenoir haussa légèrement un sourcil. Elle était surprise. Elle pensait que la Directrice allait la réprimander, lui dire de faire ses bagages et la mettre à la porte...pour se retrouver ensuite en prison. Ce ne fut pas le cas, et elle ne sut pas ce qui avait motivé sa patronne à parler ainsi. Peut-être qu'elle n'était pas aussi sévère qu'elle souhaitait le monter. Quoiqu'il en était, c'était avec un air déterminé qu'elle répondit:

"- Mon problème, mademoiselle, c'est que je déteste qu'on m'accuse à tort. Je vous l'ai dit et je vous le répète, la première fois que j'ai touché à votre installation électrique, c'était pour remédier à la panne qui vient de se produire. Alors si cela vous dérange que je sauve votre fête, dites-le moi et la prochaine fois, je vous laisserez dans le noir et le silence!"

Elle marqua une pause. Elle avait déjà dit ce qu'elle avait en tête, mais son interlocutrice avait soulevé un autre point. Elle reprit la parole:

"- Et en effet oui, je n'aime pas cet endroit. Je ne sais pas du tout ce qui peut me tomber dessus à un moment ou à un autre. Mais j'essaie de faire un effort d'adaptation. C'est déjà assez pénible comme ça, alors je n'ai aucune envie de me mettre tout le monde sur le dos!"

La Directrice sera sûrement la première avec qui elle ne s'entendrait pas. Elle en était consciente, mais cela ne l'avait pas empêcher de parler ainsi.

Les paroles de Carole, dure et glaciale, firent l'effet d'une gifle à la Directrice. Clémentine n'était pas habituée à se qu'on lui parle sur ce ton, et encore moins qu'on ne se sentent pas bien dans son Ecole alors qu'elle faisait tout pour que tout le monde réussisse à s'y intégrer.

"Vous m'excuserez pour ces accusations que je regrette, Carole, mais veuillez prendre en considération le fait que je ne suis guère plus âgée que vous et que diriger une Ecole comme celle-ci n'a rien de facile."

Elle fit une courte pause avant de continuer, plus bas.

"Je suis navrée que vous ne vous plaisiez pas en ces lieux, croyez bien que je fais tout ce que je suis humainement capable de faire pour que tout le monde accepte de porter sur ses épaules le poid que je lui demande de porter. Lorsque l'on m'a présenté votre dossier j'ai pensé que nous avions besoin de quelqu'un qui ne s'efface pas devant la plus petite contrariété, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et qui n'ait pas peur des particularités des élèves présent ici. Je pensais que vous étiez peut-être cette personne Carole. J'ai pensé que vous n'étiez pas aussi lâche que la plupart des personnes que j'ai rencontré et qui auraient détalées à toutes jambes en voyant ce qui vit sur cette île. J'ai fondé beaucoup d'espoirs avec seulement quelques lignes écrites sur vous comme garantie. Je n'ai pas à me plaindre de votre travail, Carole, et j'aimerais savoir si à l'avenir, j'aurais à me plaindre de votre comportement à la limite de l'insolence à mon égard."

Clémentine fixa la jeune femme en face d'elle, et murmura :

"J'aimerais savoir si vous ferez preuve de courage Carole, assez pour m'aider."

En disant cela, Clémentine Demoya ne ressemblait plus en rien à la sévère et hautaine Directrice, elle avait reprit un air adolescent, presque suppliant. Elle était bien trop fière pour demander de l'aide explicitement à quelqu'un comme Carole, qu'elle ne connaissait pas assez pour considérer comme une amie, pourtant c'est bien ce qu'elle venait de faire.

Carole se calma brusquement. La Directrice venait de s'excuser pour ces fausses accusations et c'était ce qu'elle espérait de cette conversation. Seulement, ce qui suivit la surprit totalement. Le changement de ton de son interlocutrice était déstabilisant. Soudainement, la jeune rousse crut qu'elle avait une quarantaine d'année et qu'elle se trouvait en face d'une adolescente de 17 ans. Un sentiment qu'elle ressentait rarement émergea en elle: la pitié. Ses propres yeux verts montrait une certaine compassion à l'égard cette femme, et elle se demandait si elle-même aurait été capable d'avoir les mêmes responsabilités. Cet air suppliant que Demoya affichait sur son visage lui rappelait le sien, quand elle était passée devant le juge d'instruction. Elle prit également conscience que s'était le moment, ou jamais, de rattraper son erreur. Elle prit la parole avec une voix tout aussi déterminée, mais cette fois-ci, afin de prouver sa loyauté et de bien marquer ce qu'elle allait dire.

"- Je ne garantie pas que je m'entendrais avec tout le monde ici. Mais je suis sûre d'une chose, c'est que je ne m'énerve pas sur quelqu'un sans une bonne raison. A l'avenir, j'espère ne pas vous décevoir comme aujourd'hui."

Elle resta silencieuse quelques secondes. Cette volonté, elle la devait à son désir de ne pas trahir la confiance que lui avaient accordé le juge et son orphelinat. Elle souhaitait s'en montrer digne. Quant à son doute sur son courage, cela l'agaçait un peu. Elle rajouta:

"- Occupez-vous des habitants, madame la Directrice, et je m'arrangerais pour que votre manoir tourne aussi bien qu'une horloge bien huilée."

Lenoir savait qu'elle pouvait libérer la Directrice d'une partie de ces fonctions, notamment s'assurer que le bâtiment ne tombe pas en ruine. Elle pourra ainsi se concentrer d'avantage sur d'autres problèmes.

Clémentine adressa un sourire fatigué à Carole. Son changement d'attitude était très prometteur et encourageant pour la suite. Si la Directrice n'arrivait pas à faire entendre raison à une jeune adulte humaine, comment pouvait-elle espérer aider des vampires, des drows et des anges ? Mais visiblement le problème semblait arrangé.

Elle tendit sa main à Carole.

"Sommes nous d'accord alors ? Vous le manoir, moi les élèves ?"

En attendant une réponse, son sourire se fit un peu plus rayonnant.

En voyant le sourire de la Directrice, Carole soupira légèrement. Elle venait de sauver son emploi et éviter ainsi un séjour en prison. Elle pourra continuer à exercer sa passion, c'était ce qui la soulageait le plus. Elle saisit la main que Demoya lui tendait et répondit sobrement:

"- On est d'accord."

Clémentine adressa un sourire à Carole.

"Bon eh bien je crois que je vais retourner à la fête moi... bonne fin de soirée Carole."

Et la Directrice s'éloigna de son pas léger et confiant.

"- Bonne soirée..." marmonna-t-elle tandis que la Directrice s'éloignait.

Carole n'avait plus du tout l'envie de faire la fête. Mais ne rien faire dans sa chambre ne l'enchantait guère non plus. Elle songea un moment à retrouver la bouteille de rhum qu'elle avait trouvé au bar, mais elle se ravisa. Elle n'était pas alcoolique, et puis, ce serait de mauvais goût. Elle décida de regagner sa chambre les mains vides.