Mell chasse pendant la pleine lune

Mell respira l'air frais du soir. Depuis la lisière de la forêt, elle pouvait aperçevoir le soleil couchant, quis semblait baigner dans une mer de nuages aux teintes roses et oranges. L'ombre des arbres s'étirait au fur et à mesure que l'astre du jour disparaissait derrière l'horizon. Fascinée par ce spectacle, la monomorphe dû pourtant s'en détourner et se dépêcher d'emprunter le petit sentier qui s'enfonçait dans la forêt, Vurlth, jusqu'à présent invisible, à ses côtés.

"Depêchons-nous. Le temps nous est compté."

Une drôle de sensation, à la fois d'excitation et de peur l'étreignait et son pas s'accéléra. L'arc et le carquois de flèches qu'elle avait emporté battait contre son dos. Il faisait nuit à présent. Dans le noir, les ombres des arbres se faisaient menaçantes. Le chant de milliers de petits criquets rendait toutefois l'athmosphère plus détendue. Un nuage masquait la lune. Jugeant qu'elle était arrivée assez loin de la lisière des bois, Mell s'arrêta dans une sorte de petite clairière et s'assis sur une pierre. Vurth se lova sur ses genoux.

- Il n'y a plus qu'à attendre maintenant, lui murmurra-t-elle en le caressant.

Soudain, un rayon de lune perça les nuages, illuminant la clairière. Vurlth sauta des genoux de Mell, et lorsque ses pattes touchèrent terre, le petit chat roux au bout de queue noir avait disparu. A sa place se tenait une gigantesque panthère d'un noir d'ébène, avec au bout de la queue une petite tache rousse. De sa démarche féline, l'animal se tourna vers la monomorphe. Ses cornes avaient disparues, mais une longue queue se balançait derrière elle. Elle ferma les poings et de longues griffes d'acier perçèrent sa peau, sans aucune douleur aparente. Son regard aussi avait changé. Dans ses yeux brillait une lueur sauvage et féline. Elle empoigna son arc, y encocha une flèche et courru vers Vurlth. Souplement, elle se hissa sur son dos et la panthère partit au galop en direction du coeur de la forêt. Tout cela n'avait duré que quelques secondes. C'était la pleine lune.

"- Mais bordel, comment ils m'ont fait ça!" râla-t-elle.

La technicienne de maintenance travaillait dans un bâtiment, situé tout près de la côte. Il s'agissait d'un local technique et c'était de là que provenait toute l'alimentation en énergie du manoir. L'eau, le gaz et l'électricité traversait l'océan depuis le continent en longeant le fond sous-marin grâce à d'énormes pompes pour l'eau et le gaz, et à l'aide d'un transformateur pour l'électricité. Dans ce même bâtiment, tous ces éléments étaient retransformés pour être utilisable, puis expédier vers le manoir et ses infrastructures. Cela faisait maintenant plusieurs heures que Carole s'acharnait sur une moto-pompe à eau qui refusait de fonctionner correctement. La pression s'avérait insuffisante et certaines parties du manoir n'avait plus une seule goutte d'eau. Pourtant l'alimentation du moteur était en parfaite état, et c'était en vérifiant la partie mécanique qu'elle découvrit la panne: le moteur tournait dans le vide et ne transmettait pas sa puissance à la pompe. La transmission avait lâché, d'où l'énervement de la technicienne. A l'aide de sa caisse à outils rouge qui ne la quittait jamais quand elle bricolait, elle remit en état le système d'engrenages, dont la plupart n'était plus dans l'axe de la chaîne de transmission, et relança le moteur. D'après un indicateur de pression, la pression hydraulique était rétablie. Satisfaite, elle rangea ses outils et sortit du bâtiment.

A l'extérieur, il faisait déjà nuit. Elle ne s'était pas rendue compte de l'heure qu'il était et avait donc réparé cette panne durant toute l'après-midi. Le soleil s'était couché, cédant sa place à la Lune. Lenoir sortit une lampe torche de son blouson en cuir rouge et l'alluma, créant un faisceau de lumière devant elle. Sa caisse à outils à la main, elle partit en direction du manoir. Pour rentrer, elle devait obligatoirement traverser la forêt. Elle arriva à la lisière et s'enfonça sous la canopée qui prenait une teinte argentée grâce à l'éclairage de la Lune. Au bout de quelques minutes, elle se sentit observée et oppressée. En temps normal, elle ne serait pas contre une ballade nocturne, mais depuis qu'elle avait posé les pieds sur cette île, elle ne savait jamais sur quoi elle pouvait tomber. Soudain, elle entendit un bruit de course, probablement un animal, et elle pointa sa torche dans cette direction. Quelque chose siffla près de sa tête et vint se planter dans l'arbre qui était derrière elle. Voyant la flèche fichée dans l'écorce, elle laissa tomber sa caisse à outils sur le sentier et sauta dans le plus proche buisson. Elle éteignit également sa torche en sifflant doucement:

"- Mais merde, c'était quoi ça! Et ma caisse à outils, bordel!"

L'objet gisait sur le sol, à la vue de tous le monde, et elle n'osait pas sortir de sa cachette pour la récupérer.

Mell feula. Elle avait manqué sa cible de peu ! Sa proie s'était baissée au derniier moment et sa flèche empenée d'une plume d'oie s'était fichée dans l'écorce d'un arbre voisin d'au moins un pouce. Elle huma l'air. Elle était proche. Elle entendait son souffle haletant ; une odeur de peur se dégageait d'elle. Une odeur de proie traquée. Elle savait que Vurlth, qui était tapi à son côté sur la branche de l'arbre depuis lequel elle avait tiré, la sentait aussi. Alors, aussi silencieusement que si elle marchait sur du coton, elle déscendit de la branche sur laquelle elle était perchée. Souple comme un chat, elle sauta à terre et aterrit à quatres pattes sur le sol couvert de feuilles mortes. Puis elle se mis à ramper en direction d'un petit buisson. C'était de là que provenait l'odeur de sa cible. Vurlth, lui, était resté près de l'arbre, et se confondait parmi les buissons noirs dans la nuit. Il ne cherchait pas à voler la proie de sa maîtresse. Mell se raprochait de plus en plus du buisson. Plus que quelques mètres, et elle lui sauterait à la gorge. Arrivée à quelques centimètres du buisson, elle s'immobilisa. Elle entendait son souffle. Ses griffes d'acier sortirent entre ses phalanges. Elle était prête à bondir...

Cachée derrière un buisson, le genou droit au sol, Carole tenait fermement sa lampe torche dans une main et un simple tourne-vis dans l'autre, seul moyen pour elle de se défendre. Son cœur battait à tout rompre et elle sentait le sang affluer dans ses tempes. Sa respiration était rapide. L'adrénaline montait en flèche. Elle avait du mal à se calmer. Qui avait bien pu lui décocher cette foutue flèche? Au moins, qu'importe ce que c'était, il n'avait pas repéré sa caisse à outils et la technicienne de maintenance n'entendait plus rien si ce n'était le vent qui soufflait et sa respiration pantelante.

La dernière fois qu'elle avait connu la même situation, c'était il y a un peu plus d'un an, lors du cambriolage auquel elle avait participé. Lenoir s'était introduite dans une riche demeure avec ce qu'elle croyait être des amis. Elle avait ouvert une armoire électrique pour couper les alarmes et crocheter les différentes serrures. Ils avaient réussi à pénétrer dans la maison et commençaient à piller les objets de valeur...jusqu'à ce que le propriétaire les surprenne et appelle la police. Ses soit-disant amis s'étaient enfuis à toutes jambes, la laissant derrière eux. Elle s'était dissimulée là où elle avait pu, mais elle fut tout de même arrêtée et jugée.

Cela faisait quelques minutes qu'elle n'entendait plus rien, et qu'elle ne voyait rien bouger. Elle estima que la voit était libre. Elle se redressa doucement et alluma sa lampe torche. La lumière éclaira, et aveugla par la même occasion, une créature qui se trouvait à quelques centimètres d'elle. La technicienne bascula en arrière, lâchant sa source de lumière. Allongée sur le sol, elle se suréleva avec ses coudes et récupéra sa lampe pour dévoiler à nouveau ce qu'elle avait en face d'elle. Des sueurs froides dégoulinaient de son front. Elle vit quelqu'un qu'elle était censée connaître; cependant, cette personne n'était plus ornée de cornes et possédait des griffes impressionnantes à ses mains. Elle se risqua à prononcer:

"- El...Eldunari? C'est toi?"

Une lumière aveuglante fusa en direction de Mell, la laissant quelques minutes au sol, un voile noir devant ses yeux l’empêchant de voir ce qui se passait autour d’elle. Sa proie, pensant que le danger était écarté avait décidé de sortir de sa cachette et avait sortit une lampe torche, balayant le sol de sa lumière et le lui pointant en plein dans les yeux. Puis elle était tombé à la renverse à côté du buisson où elle s’était caché et tremblait à présent de tous ses membres.

-El…Eldunari ? C’est toi ?

Le voile noir se dissipa devant les yeux de la monomorphe. Ecoutant la respiration haletante de sa proie, elle se prépara à lui sauter à la gorge… lorsqu’un événement inattendu se produisit. La pleine lune disparu derrière l’horizon, laissant place aux premières lueurs rouges orangées de l’aube. En l’espace de quelques secondes, Mell avait repris sa forme normale, ses cornes de élier remplaçant sa queue et ses griffes.

Abasourdie, elle se massa le crâne.

- Eh bien ! On ne peut pas dire que c’était la nuit la plus reposante que j’ai passée ! grommela-t-elle.

Puis elle remarqua Carole Lenoir, la technicienne de maintenance qu’elle avait rencontré à l’intendance lors de son arrivée, étalée de tout son long dans l’herbe, le visage déformé par la peur.

« Tiens ? Bizarre… »

-Carole ? Mais… que faites-vous ici ? Vous ne devriez pas traîner dans la forêt les jours de plei…

Alors la vérité s’imposa à ses yeux. L’horreur et l’angoisse la saisirent à la gorge. Elle se mit la main devant la bouche pour ne pas crier.

« Oh non ! Qu’est-ce que j’ai fait ? »

Les premières lueurs de l'aube éclairaient doucement la forêt. Carole leva les yeux pour s'assurer qu'il s'agissait bien de la lumière du soleil. C'était déjà le matin! Elle avait travaillé encore plus tardivement qu'elle ne l'avait suggérait. Elle reposa son regard sur la monomorphe et assista, écœurée, à sa transformation. Les griffes et la queue s'atrophièrent pour disparaître totalement, tandis que des cornes de bélier poussaient au sommet de son crâne. La jeune rousse réprima difficilement un haut-le-cœur, c'était vraiment pas beau à voir ses mutations... La Créature devant elle reprit la forme que la technicienne de maintenance connaissait, et il s'agissait bien d'Eldunari. Cette dernière grommela quelque chose et semblait enfin remarquer sa présence. Et réaliser ce qu'elle avait failli faire! Lenoir se redressa et explosa.

"- Comment ça ce que je fous là? J'étais allée réparer les pompes."

Elle s'approcha de l'arbre et en arracha la flèche, puis la jeta aux pied de l'élève.

"- Et je peux te poser la même question! Bordel de merde, t'étais à deux doigts de m'embrocher avec ça! Heureusement que tu m'as loupé! Mais quelle idée aussi de jouer au archer en pleine nuit!"

Carole laissa échapper un flot d'injures et on pouvait aisément deviner qu'elle ne s'arrêterait pas avant d'avoir épuiser tout son vocabulaire.

Mell attendit patiemment que Carole termine de déclamer sa liste d'injures.

"Ben dit-donc, elle en un de ces stocks !"

En attendant, elle cherchait à réunir tous les arguments qui lui permettrait de défendre sa cause (et elle en aurait besoin). Quand la technicienne eu enfin fini, elle pu parler (ou plutôt crier) à son tour :

- D'abord, je vous signale que je n'ai aucun contrôle de moi-même quand je me transforme ! Et puis d'ailleurs, ce n'est pas moi qui ai décidé que les jours de pleine lune je devrais me transformer ! Vous n'allez quand même pas me dire que c'est de ma faute si je suis née comme ça, bordel !

La monomorphe s'arrêta quelques minutes pour se calmer, car elle savais qu'elle pourrais rapidement en venir aux mains si elle ne le faisait pas.

- En plus, c'est pour la sécurité des habitants de l'école que je viens dans la forêt. Je pourrais très bien ne pas y aller et tous les empaler ! Et puis quelle idée aussi de traîner dans la forêt à cette heure ici ? Même pour le travail ! Vous pouviez très bien remettre ça et finir de réparer vos foutues pompes demain !

Cette fois-ci, la jeune fille se tu. Elle n'avais plus rien à ajouter. Elle se sentais vide, essoufflée. Elle s'assit en tailleur, croisa les bras et attendit la réaction de la technicienne.

Carole se tut enfin. Elle fut bien surprise de voir qu'Eldunari enchaînait en essayant de s'expliquer. Elle avait du répondant, et cela lui rappelait son propre caractère: celui d'une boule de nerf. Seulement, les arguments que son interlocutrice avançait l'énervaient encore plus. Cette dernière s'assit sur le sol semblait épuisée. La technicienne réagit aussitôt. Elle l'attrapa par les épaules et la redressa sans ménagement. Gardant les mains serrées sur ses épaules, elle plongea son regard dans ses yeux pour appuyer ses paroles.

"- Alors écoute-moi bien, toi! J'en ai rien à foutre que tu sois née ainsi! Tu aurais été sourde ou avec un bras en moins, je m'en fiche complètement! Mais quand on est incapable de se contrôler, on ne se ballade pas avec des armes! T'as bien vu ce que ça a failli me coûter! Et si ça ne suffit pas, on demande à être enfermé pour éviter les accidents!"

Elle relâcha sa prise et marqua un petit temps d'arrêt. Ses sourcils étaient plus froncées que jamais. Elle ne supportait surtout pas qu'on lui fasse un reproche sur sa façon de travailler. Elle pouvait comprendre une remarque sur le résultat qui ne correspondait pas aux attentes, mais sur la méthode qu'elle employait, jamais. Elle poursuivit:

"- Et tu comptais faire quoi en rentrant? Prendre une douche ou manger un morceau? T'aurais fait comment s'il n'y avait pas d'eau au manoir? Les autres habitants sont sûrement bien content d'avoir de l'eau dans leurs robinets pour se laver ce matin! Et je ne parle pas d'un éventuel incendie sérieux! On l'aurait éteint comment si les extincteurs n'avaient pas suffit à maitriser le feu?"

Carole se retourna vivement. Elle grommela pour elle-même en s'approchant de sa caisse à outils qu'elle prit en main. Puis elle coupa enfin sa lampe torche qui était restée allumée depuis tout ce temps. Elle rajouta:

"- A l'avenir, tu éviteras les commentaires sur ma méthode de travail! Je viens de passer une nuit blanche seulement pour votre petit confort, et pour votre sécurité dans ce cas là! Et je fais ce genre de chose très souvent, voire tout le temps! Alors ne l'oublie surtout pas."